Ce que l'on sème ft. Naomi Lemann

Ce que l'on sème

L'amitié, comme l'amour, demande beaucoup d'efforts, d'attention, de constance.
Elle exige surtout de savoir offrir ce que l'on a de plus cher dans la vie : du temps.

La relation entre William Hayes et son fils avait eu beau ne jamais être au beau fixe, Valerian n’en gardait pas moins un certain respect à son égard, pour ce qu’il avait fait, crée et permis. Si William Hayes n’avait jamais pu l’aider, bien d’autres avaient profité de ce don que le vieil homme avait toujours su entretenir et faire grandir. Jour pour jour ou presque, sept ans après sa mort son héritage demeurait encore, tant dans les esprits que matériellement parlant. Valerian n’avait jamais su apprécier l’homme à sa juste valeur, non, mais il n’en demeurait pas moins attaché aux traditions. Si la distance l’avait toujours excusé, Valerian n’en avait plus désormais et forcé de faire face à cet instant qu’il avait toujours repoussé, le psychiatre avait fait le choix d’aller de l’avant, avec l’espoir sans doute un peu naïf de faire la paix avec son passé et plus encore ses vieux fantômes, qui n’avaient jamais cessé de le hanter. Réel hommage, ou simple geste pour alléger sa conscience ? A cette question là non plus, Valerian ne savait pas répondre. Depuis quelques temps, visiter les tombes était devenu trop courant pour lui et il avait finis par se rendre compte que la chose, de manière tout à fait personnelle, avait peu d’intérêt si ce n’était remuer un couteau enfoncé depuis plus ou moins longtemps. Pourquoi était-il là alors ? Assis dans sa voiture, Valerian se le demandait encore et encore.

Lorsqu’il quitta finalement le couvert du véhicule, Valerian sentit la pluie marteler la veste de son costume et perler bientôt le long de son visage. Au-dessus de lui, plongé dans le silence campagnard le directeur pouvait entendre l’eau du ciel s’écraser sur les tuiles plates de l’église aux pierres sombres, que le temps maussade ne manquait pas de ternir. L’église gothique était cernée de chemin en pavés, qui serpentaient à ses pieds et qui conduisait chacun à un endroit différent. Les mains dans les poches, silencieux, Valerian fit le tour de l’église pour rejoindre le cimetière érigé derrière. Le portail en fer forgé grinça lorsqu’il le poussa pour l’ouvrir, annonçant sa présence auprès des morts, seuls habitants de cet endroit lugubre. Hayes avait beau ne pas y être aller souvent, l’emplacement des tombes restait frais dans sa mémoire, comme si l’enterrement s’était passé hier.

Dressées l’une à côté de l’autre, les tombes du couple Hayes se tenaient là, austères et silencieuses, et la présence de fleurs flétries trahissaient le passage d’autres avant lui. En pierre gravée – inscrit au patrimoine, la mairie de l’époque avait refusé le marbre pour ce cimetière – tout autour des tombes s’étendait une multitude de fleurs blanches que le printemps avait fait fleurir. Loin des cimetières drastiquement entretenus des villes modernes, la nature avait su faire là son bout de chemin malgré l’hostilité des lieux.

Alana et William avait été mariés mais jamais divorcés, pourtant le nom de William sur la tombe de sa femme brillait par son absence. A la place, William avait eu la décence de faire graver celui qu’elle avait eu jadis, bien avant leur rencontre. Bien que plus ancienne, la tombe d’Alana n’avait pas été oubliée par les offrandes … ceux qui étaient passés-là n’avaient pas oublié l’histoire de ce couple atypique, qui avait laissé derrière lui un conte moderne connu de peu, et que seul la mort avait su réunir. Pendant longtemps, Valerian avait ignoré où sa mère avait été enterrée. A l’époque, sa mémoire d’enfant n’avait pas su se souvenir de ce cimetière ni de son emplacement, et pendant longtemps William Hayes le lui avait caché, par omission plus que par mensonge. L’adolescent le lui avait longtemps reproché avant de finalement comprendre, plus tard, toute l’ampleur de la douleur que l’absence permanente et irrémédiable d’Alana de Clairvois avait laissé dans le cœur de William. Dans un premier temps, William avait voulu oublié, refusant de comprendre que certaines choses ne disparaissaient jamais vraiment.

Immobile à la merci de cette pluie intarissable, Valerian resta longtemps interdit devant les deux tombes, les mains dans les poches à ruminer. Que cherchait-il ? Le calme peut-être, une fenêtre hors du temps et de toutes ces responsabilités qui lui incombaient désormais. Ici, face aux tombes de ses parents, Valerian Hayes redevenait un petit garçon, celui que le temps n’avait pas encore transformé. Il y resta longtemps, oui, et la pluie cessa bien avant qu’il ne s’en rende compte, le laissant trempé et pourtant serein, de cette sérénité qu’il n’avait pas ressenti depuis bien trop longtemps.