Même la nuit a une fin ft. Finan McKinney

Même la Nuit a une Fin

Notre plus grand mérite n'est pas de ne jamais tomber, mais de nous relever à chaque fois

Si Valerian s’investissait corps et âme dans ce projet de la dernière chance qu’était Almara, il lui arrivait parfois, en de rares occasions, de s’accorder un peu de temps pour lui, ce qui n’était pas toujours une bonne idée car sans travail pour l’occuper, son esprit ne manquait pas de divaguer, souvent dangereusement. Valerian Hayes avait beau ne rien laisser paraître, certaines plaies ne s’étaient jamais vraiment refermées et ses récentes altercations avec Naomi n’avaient fait que les rouvrir un peu plus. Parmi elles, encore fraiche dans son cœur malgré les années, la disparition de Liliska suintait encore. Si Almara devait à cette tragédie sa réouverture, restait encore dans l’esprit de Valerian des questions auxquelles le temps, un jour peut-être, saurait répondre … ou peut-être pas. Là devant lui, dans le champ herbeux du domaine se tenait la raison même de toute cette entreprise laissé pendant longtemps à l’abandon : Let Me Guess. Blanche comme la neige éternelle, la ponette broutait l’herbe verte, sans se soucier vraiment de ce qui l’entourait. Bien au-delà de sa propre carrière, c’était pour elle que Valerian avait relancer la machine. De ce jour, Valerian s’en souvenait comme si c’était hier : il se souvenait de l’avoir observé dans son box à l’Etrier, encore tétanisée malgré les mois passés. Il se souvenait aussi des choix qui s’étaient offerts à lui, et de cette décision qu’il avait pris seul la concernant. Valerian n’avait pu se résoudre à se séparer de la ponette … l’aurait-il pu de toute manière ? Invendable, l’issu aurait été dramatique, et malgré sa disparition le psychiatre l’avait toujours su : Lili ne l’aurait jamais voulu. Alors il avait gardé la ponette, avait rappelé Alessendro, et les choses étaient devenues ce qu’elles étaient aujourd’hui.

Vêtu d’une veste beige, à son arrivée aux abords de la clôture Guess ne le reconnu pas tout de suite. Il fallait dire qu’il était rare de voir Valerian avec autre chose qu’un costume et si sa taille ne l’avait pas tant trahi, le directeur se serait vite fondu dans la masse, loin de l’image que les gens du domaine avaient l’habitude de voir. Lorsque le directeur s’accouda finalement à la clôture, la ponette releva la tête dans sa direction avant de s’approcher doucement. Loin de l’ignorer, une fois à son niveau l’islandaise à la robe blanche leva son nez vers lui, flaira un instant la main que l’homme lui tendait. Ses naseaux se gonflèrent une fois, deux fois, analysant chacune des odeurs que la vie y avait laissé. Voyant que rien ne s’offrait à elle, Guess secoua la tête, faisant danser l’espace de quelques secondes ses crins longs et abondants. Malgré l’absence de friandises, de ses yeux de biche la ponette continua d’observer le directeur, se satisfaisant finalement de sa présence à elle-seule. Faute d’avoir mieux à lui offrir, Valerian la gratifiant d’une caresse sur le chanfrein. Le printemps avait fait tomber sa toison d’hiver, laissant derrière elle un poil fin, court, soyeux, annonciateur des beaux jours.

Il y avait entre l’homme et la ponette une disparité de taille étrange, auquel ils étaient pourtant tous deux habitués. Sans chercher à regagner les siens, Guess resta longuement immobile le long de la clôture, laissant le soleil lui chauffer le dos. Par leur présence silencieuse, les chevaux avaient le don d’apaiser les esprits et celui de Valerian ne faisait pas exception à la règle. Combien de temps Valerian resta-t-il là, immobile devant la clôture ? Aucune idée, mais le directeur ne sortit de ses pensées que lorsqu’il sentit le nez de la ponette s’aventurer vers ses poches, passant l’air de rien la tête entre les lisses de bois. Sa tentative arracha un sourire au directeur, qui la repoussa doucement vers l’intérieur du pré. Les habitudes de Guess trahissaient son lien avec Valerian et plus que jamais, le directeur s’en rendait compte aujourd’hui.

Valerian aurait pu rester là longtemps, immobile dans sa contemplation, si l’attention de Guess ne s’était pas soudainement portée vers le lointain. Rien n’échappait à l’islandaise : quelqu’un approchait et derrière ses lunettes, le directeur scruta un instant la silhouette qui se dessinait au loin. Qui pouvait bien venir ? Etait-ce Mazet ? Non, le garçon ne portait pas de sac, cela ne collait pas. Un hennissement léger dans le pré lui rappela la présence de Kamelot, qui s’impatientait de savoir Guess loin de lui si longtemps. Alors, le regard de Valerian se porta de nouveau vers la silhouette, qu’il reconnut cette fois. C’était Finan McKinney, comment avait-il pu ne pas le deviner ?

Même la Nuit a une Fin

Notre plus grand mérite n'est pas de ne jamais tomber, mais de nous relever à chaque fois

La peur avait-elle gagné de nouveau le cœur de Finan McKinney ? Ça n’aurait pas été nouveau et loin d’en ignorer les risques, Valerian s’approcha du garçon avec prudence. Sans son habit de directeur pour attester de son identité, Hayes avait conscience de la potentielle menace qu’il pouvait représenter pour le garçon perdu dans les limbes. Avec lenteur, le psychiatre rangea ses lunettes dans l’une de ses poches, avisa du regard l’état du garçon. L’esprit de McKinney était déjà loin, très loin, trop loin.

— Finan l’interpella le directeur. Dans l’espoir de se rendre moins imposant, Valerian s’accroupit à bonne distance du garçon. Finan, c’est le docteur Hayes. Je vais m’approcher, Finan, restez calme l’avertit-il.

Valerian tenta un pas dans sa direction, chercha son attention. Sans connaître les circonstances de cette nouvelle crise, Hayes était encore aveugle et tâtonnait à la recherche d’une prise, d’un angle d’attaque. Sa seule consolation était de savoir que McKinney n’était désormais plus seul, physiquement du moins.

— Finan, vous êtes à Almara. Ça va aller … je viens de faire un pas vers vous, faites un pas vers moi maintenant lui demanda Valerian.

Hayes ignorait encore le facteur déclencheur de cette crise. Rien ne laissait présumer une potentielle réminiscence aux causes ô combien multiples. Loin de les avoir encore toute identifiées, Valerian tendait à les répertorier pour, non pas empêcher les crises du garçon, mais les devancer. La tâche était ardue, car sans les souvenirs de McKinney pour le guider Valerian allait de suppositions en suppositions. Dans son esprit, Valerian avait dû reconstituer la scène du traumatisme et preuve en était, bien des détails lui échappaient encore.