Le chant de la prairie suffit à mon bonheur [Camille]

Alors que Jérémie répondait à son avalanche de questions, Camille restait vraiment attentif. Il ne quittait pas l'homme des yeux. Après tout, il était une preuve vivante que l'on pouvait vraiment sortir de ses ennuis. Et ça, mine de rien, le blond avait besoin de l'entendre. Et les paroles de quelqu'un qui avait vraiment vécu ça, avait mille fois plus de poids que celle de tous les médecins et les éducateurs qu'il avait rencontré jusqu'ici.

Mais il ne put s'empêcher de lui faire une remarque quand ce dernier lui dit, comme une évidence, que cet endroit serait fermé s'il ne fonctionnait pas. Dans la logique de Camille, il n'était pas tout à fait d'accord avec ça ...

« Ou pas, il faut bien trouver un endroit ou mettre des personnes comme nous. Après, je suis sûr que ce que l'on devient, y'a pas mal de gens qui s'en fiche au final. Du moment que l'on ne fait pas tache dans leur voisinage. »

Le garçon était persuadé que ses parents auraient tout fait pour le faire disparaître de leur vie, si finalement il avait raconté ce qu'il lui était arrivé comme il aurait dû le faire. La vérité avait éclaté tardivement et lui n'était plus là pour voir comment ça se passait chez lui ou dans son ancien lycée. De toute façon, il ne retournerait jamais là-bas alors ça ne servait à rien d'y penser maintenant.

Puis, arriva le moment que l'adolescent attendait vraiment. Après sa question philosophique sur le bonheur, il laissa le temps au palefrenier d'y réfléchir, ce disant qu'il avait décidément le chic pour poser des questions existentielles au mauvais moment. Le bord d'un pré était-il vraiment conseillé pour ce genre de réflexion ?

D'ailleurs, Camille ne put cacher une légère déception quand son interlocuteur resta assez vague dans sa réponse. Mais après tout, il s’attendait à quoi ?

« Ah … Je suis bête, ma question était un poil trop naïve. Je me doute qu'on peut pas être à 100% heureux, 24H sur 24. »

Alors il essaya d'affiner ses pensées. De se rapprocher de ce qu'il attendait vraiment comme information.

« Mais … De manière générale, tu aimes ta vie maintenant ? Plus que celle que tu avais avant. Désolé d'insister comme ça. Je suis vraiment relou. Mais je me demande vraiment si un jour on guérit vraiment de nos blessures, quelle qu'elle soit. »

Camille sourit légèrement devant ce qu’il prenait pour un encouragement de la part du palefrenier.

« Je ne pense pas … Mais je fais tout pour … »

Et pour une fois Camille était plus que lucide. Il avait beau y mettre toute sa bonne volonté, plus le temps passait, plus il se rendait compte que rien ne redeviendrait comme avant. Mais c’était peut-être, au final, une sorte d’acceptation de ce qu’il lui était arrivé. En faisant le deuil de son ancienne vie, il allait enfin pouvoir se construire un nouvel avenir.

La réponse de Jérémie le surprit. Le blond ne s’était vraiment pas attendu à ça, pour être honnête il espérait plus que tout un simple oui. Il aurait voulu entendre Jérémie lui dire que sa vie lui convenait entièrement et qu’il était simplement heureux. Mais sa réponse était mitigée. Et même s’il disait qu’il ne la détestait pas pour autant, Camille se sentait vraiment triste pour lui, le palefrenier avait l’air résigné. D’ailleurs, il était tellement abasourdi par cette révélation qu’il ne répondit pas tout de suite, laissant la conversation suivre son cours.

Il répondit ensuite à sa dernière réplique, essayant d’une certaine manière de rassurer l’homme en face de lui.

« Je ne veux pas me calquer sur toi, je suis juste curieux … Je … je ne connais pas les soucis que tu as eus avant, alors je ne te ferais pas l’affront de me comparer à toi. Je voudrais juste au moins … je sais pas … Je sais pas vraiment ce à quoi je m’attendais en t’embêtant avec mes questions. Peut-être juste avoir une illustration de ce que je pourrais devenir dans quelque temps. »

Puis, il soupira doucement et se décida enfin à réagir à la réponse qu’il avait tant désirée.

« Je suis désolé pour toi ... Même si tu dis qu’elle te convient, je trouve ça triste que tu ne sois pas heureux. Surtout quand on est passé par des trucs pas cools, on mériterait, plus que les autres de goûter au bonheur, non ? C’est quoi qui te manque ou qui t’empêche de vraiment apprécier ta vie ? »

Encore une fois la curiosité le poussait à en demander toujours plus à son interlocuteur, mais pour le coup, l’adolescent se demandait vraiment ce qu’il pouvait faire pour que son confident accidentel soit un peu plus satisfait de son existence.

Camille ricana légèrement.

« Bien mieux je sais pas. Être déjà aussi bien que toi me conviendrais. Mais on va dire que mon avenir est encore une question sensible pour moi. Je n’ai aucune idée de ce que je ferais en sortant d’ici. »

Puis, la conversation suivant son cours, Camille se rendit compte qu’il n’avait pas était très fin sur sa dernière remarque, vu ce que le palefrenier venait de lui répondre. Et la légère remontrance qu’il venait de lui faire était entièrement méritée. Et ça, l’adolescent l’avait très bien compris. Il s’excusa rapidement.

« Excuse-moi … Je ne voulais pas être indélicat … »

Puis, devant le silence du palefrenier à sa énième question, Camille sourit légèrement. Il était sûr qu’en se réveillant ce matin, ce dernier n’avait même pas imaginé qu’il allait devoir réfléchir à des questions existentielles au détour d’un pré.

« Je suis chiant avec mes questions, j’en ai conscience. »

Puis finalement Jérémie fini par lui répondre. Encore une fois les sentiments de Camille restaient mitigés devant ce que venait de lui dire le palefrenier. Ce dernier avait l’air plutôt résigné et même s’il disait que tout ça lui convenait, le blond n’arrivait pas à s’en convaincre. Malgré ce que lui avait dit Jérémie quelques minutes plus tôt, il ne pouvait s’empêcher d’être désolé pour lui. Mais il se garda bien de lui dire cette fois-ci.

« Okay, je vois. J’ai un peu du mal à comprendre ton état d’esprit, mais je suis sûrement encore trop naïf et j’attends sûrement beaucoup trop de ma future vie. Mais, même si tu n’attends rien d’elle, j’espère qu’elle te réservera encore de belles surprises. Et qu’un jour tu pourras te dire que tu es enfin satisfait entièrement. »

Ce qu’il venait de dire, il l’avait autant dit pour lui que pour Jérémie. Camille espérait lui aussi un jour pouvoir dire qu’il était heureux. Qu’il aimait sa vie et que pour rien au monde il ne la quitterait. C’est ce qu’il espérait au plus profond de son âme.

Puis, il leva un petit regard amusé vers son interlocuteur.

« S’il faut, on se recroisera dans quelques années, et on pourra voir ce qui a changé dans nos vies. Tu seras peut-être papa de 3 enfants, entouré de plein de chevaux. Et moi, et moi je serais peut-être vétérinaire, ou un truc du genre. »

« Excuse-moi, je te taquine. Et je ne devrais pas, c’est impoli. »

Mais malgré son excuse, le blond affichait un petit sourire insolent sur ses lèvres. Puis, il redevint sérieux quand Jérémie lui demanda s’il voulait vraiment devenir vétérinaire.

« Oui et non. C’est plutôt une sorte de rêve … Je pense que je devrais me contenter d’être assistant vétérinaire ou soigneur animalier. Un truc qui ne me demande pas trop d’études. Je ne survivrais jamais à une année de prépa et un concours d’entrée à l’école vétérinaire. »

Et pour ça, Camille était très réaliste, rien que la pression qu’il avait eu au lycée pour ses évaluations, celle que ses parents lui ajoutaient pour son avenir et celle qu’il s’auto-infligeait pour tout, il était devenu boulimique … Alors qu’est-ce qu’il se passerait maintenant qu’il était encore plus fragile psychologique, s’il se lançait dans une telle aventure ? Rien que d’y pensait Camille avait des sueurs froides. Et puis, il savait très bien qu’il n’aurait pas que ça à gérer, il allait falloir qu’il gère aussi tout le reste …

« Voir même, je prendrais le premier truc qui me tombera sous la main … En sortant d’ici, il va falloir que je me débrouille tout seul et j’ai pas du tout l’habitude d’être autonome niveau financier, ni autonome tout cours … J’ai bien profité de mes années de gosse de riche … mais il va falloir que je gère à partir de maintenant. Et j’ai pas du tout envie de … de refaire des trucs dans la rue. Donc il me faudra un vrai boulot. »

Malgré ce qu’il disait et l’impression qu’il pouvait donner par ses paroles, l’adolescent ne se sentait pas du tout prêt à affronter les réalités de la vie en solo. Il n’avait jamais eu à se préoccuper de ça avant. Et donc, encore une fois il appréhendait ce qui l’attendait. Mais qui pouvait lui en vouloir de s'inquiéter pour la suite ?

« Enfin, je vais déjà profiter de mes quelques mois ici, me requinquer et on verra après. Il faut que j’arrête de trop réfléchir. Et de trop me poser de question, et de ressasser. »

Et il fallait qu’il arrête dès maintenant. Rien que de penser à tout cela, il sentait l’angoisse revenir se tapir au fond de son ventre, d'ailleurs, il ne put s'empêcher de se plier légèrement en avant pour soulager cette douleur qui n'était que purement psychologique. Et, en se redressant une fois qu'il s'était rendu compte de ce qu'il faisait, il changea de conversation.

« Et toi ? Il y avait un métier qui t’intéressait quand tu étais plus jeune ? Pas que tu sois vieux maintenant, mais … enfin … Tu me comprends. »

Camille hocha la tête devant les remarques de Jérémie. Ce dernier avait raison dans les deux cas. Mais c’était sympa d’entre quelqu’un lui parler de son avenir sans lui mettre la pression. Il n’en avait clairement pas l’habitude.

« Oui, je pense que je me fais du souci pour rien et que tout s’arrangera comme il faut en temps voulu. Mais je crois qu’il faut que je me fasse à l’idée que je suis un gros anxieux. »

Il rit légèrement et se passa une main dans les cheveux. Puis, quand le palefrenier lui répondit à sa question sur ses espérances quand il était plus jeune, Camille pencha la tête sur le côté, fronçant les sourcils. Il s’était attendu à beaucoup de choses, mais pas à ça.

« Pas d’avenir ? Mais … »

Mais pourquoi … Pourquoi pensait-il ne pas avoir d’avenir. C’était des pensées très dures surtout pour quelqu’un de jeune. Il ne savait pas quel âge devait avoir Jérémie quand il se disait ça, mais personne ne devrait jamais avoir à penser ça … Personne ne devrait avoir à être ici … Personne ne méritait de souffrir comme les personnes qui étaient dans l’enceinte d’Almara c’était vraiment injuste.

Malgré toute la retenue dont il avait fait preuve jusqu’ici, Camille posa une question qui lui trottait dans la tête depuis un moment.

« Je suis désolé de te poser cette question, mais … Il t’est arrivé quoi pour que tu ne penses pas avoir d’avenir … ? »

C’était chose admise qu’entre résident on n’exposait pas ses problèmes. Parfois ça se voyait, mais aucun d’eux ne ferait une remarque déplacée dessus. Enfin en général, il y avait toujours des petites frappes pour te couler un peu plus alors que tu n’étais déjà pas au top. Mais sinon, dans l’ensemble, personne ne parlait de ses soucis et tout le monde faisait comme si tout était normal. Mais là, Camille avait vraiment envie de savoir pourquoi Jérémie avait été amené ici.

« Je comprendrais que tu ne veuilles pas me répondre, c’est clairement pas mes affaires … »

Mais la suspension qu’il avait laissée à la fin de sa phrase ne laissait pas de doute face à ce qu’il voulait vraiment. Le blond était curieux.

Malgré lui, Camille ne put s’empêcher de reculer d’un demi-pas quand Jérémie s’approcha de lui. Bien qu’il voyait très bien que ce dernier n’avait ni de mauvaises intentions, ni de ressenti contre lui. Camille n’avait pas peur de lui, le palefrenier l'impressionnait parfois, mais il n'avait jamais ressentit d'appréhension le concernant. Mais malheureusement pour l'adolescent, malgré toute sa bonne volonté, il y avait des réflexes que l’on ne pouvait gommer.

Il écouta la réponse du palefrenier, mais cette fois si, il ne dit pas un mot. Par contre, son cerveau turbinait à plein régime. Pas destiné à vivre … Est-ce que cela voulait bien dire ce qu’il pensait que ça voulait dire ? Quelqu’un souhaitait sa mort ? C’était vraiment terrible … D'ailleurs, l'expression du visage du garçon changea du tout au tout alors qu'il prenait toute la dimension de ce que venait de lui avouer Jérémie. Mais Camille se garda bien de faire une seule remarque. Il était allé beaucoup trop loin dans sa curiosité aujourd’hui. Et il n'allait pas plus pousser.

Il se racla la gorge pour faire partir son malaise et regarda Jérémie s’éloigner de lui pour sortir du pré. Il croisa son regard quand celui-ci le fixa et hocha la tête à ce qu’il lui demandait.

« Je sais que mes paroles n’auront sûrement aucune valeur à tes yeux, mais je ne dirais rien. Jamais. Contrairement à l’impression que je donne avec toi, je sais garder un secret. »


Et le regard de Camille était vraiment sincère. Il savait très bien comme c’était difficile de parler de ce qu’il lui était arrivé et comme il n’appréciait pas quand les docteurs et psychologue se passaient le mot sans que cela soit lui qui décide d’en parler. Et il n’imaginait même pas ce que cela pourrait être si ces personnes ne faisaient même pas partie du corps médical ... Il ne pourrait que très mal le vivre, ça il en était sûr. Alors, jamais il ne parlerait de ce que Jérémie venait de lui confier, il serait muet comme une tombe.

Avant que ce dernier ne s’éloigne, Camille s’approcha rapidement de la barrière et lui dit précipitamment, la voix un peu hésitante.

« Jérémie … Merci pour aujourd’hui. Et pour toutes les autres fois. Je ne pense pas que tu t’en rends compte, mais … Enfin … Tu m’aides beaucoup. Parler avec toi, ça me calme. Tu ... tu sais que grâce à toi j’ai déjà échappé à une crise quand j’ai eu des soucis avec Tessa. Et là je crois que tu m'as à nouveau sauvé de ça ... »

Et comme illustration à ses propos, Camille sourit gentiment à son interlocuteur, puis retourna près du poney qu’il câlinait quelques instants plus tôt.

« Juste … désolé de te demander encore un truc … Ne dis pas que … Enfin que j’ai vomi … J’ai pas envie qu’ils me prennent à nouveau la tête. J’aurais dû me contrôler, je le sais. Ils ne seront pas contents … »